Touche irlandaise
"Tu sais, toute cette histoire est particulièrement barbante" murmure John O'NEILL en s'enfonçant encore plus profondément dans le fauteuil d'un grand hôtel du centre de Londres. Avec ses Doc Martens dépassant d'un pantalon trop court et cette moustache clairsemée qui accentue plus qu'elle n'efface son aspect juvénile, le petit guitariste et principal compositeur des UNDERTONES n'a rien d'une rock star à l'ego hypertrophié et conquérant. Aimable et résigné, il est entrain de donner sa troisième interview de la matinée et semble redouter cette activité comme un enfant timide, la remise des prix de fin d'année. Je viens de le questionner sur les démêlés avec le business qui ont écartés le groupe de l'avant-scène depuis "Wednesday Week", leur single sorti au mois d'Août dernier.
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Les Irlandais étaient empêtrés dans un procès avec leur ancienne compagnie de disques et attendaient la sortie du tunnel juridique pour repartir à l'assaut d'une Angleterre bien trop transie pour se passer d'un groupe aussi essentiellement radieux.

John O'Neill: "Nous étions vraiment mécontents de la manière dont nous étions distribués; Sire est très désorganisé et je n'ai pas l'impression qu'ils faisaient beaucoup d'efforts pour que nos disques se vendent. Particulièrement à l'étranger. Lorsque nous avons joué à Chicago, par exemple, il y avait un responsable de la maison de disques qui ne savait même pas que nous allions sortir un album alors qu'il devait être dans les magasins le lendemain... On s'est aperçu, l'année dernière, qu'ils avaient fait quelque chose qu'ils n'auraient pas dû faire et que nous avions la possibilité de casser le contrat. On a profité de la brèche et nous nous sommes échappés...

C'est un coup de chance parce que nous avons signé en 79 après que John Peel ait passé "Teenage kicks" dans son émission, nous étions complètement éblouis parce ce qui nous arrivait et nous n'avions pas lu tous les alinéas..."

Du coup, vous avez baptisé votre tournée de la fin 80 le "See No More Tour", un jeu de mots sur le nom de Seymour Stein (patron de sire records) si mes souvenirs sont exacts...
John O'Neill: "Oui... C'était une blague et une petite vengeance... Nous sommes beaucoup plus satisfaits avec notre propre label Ardeck. Ce n'est pas comme si nous étions signés directement par EMI... Nous avons un meilleur contrôle et la liberté de faire ce que nous voulons... Si nous avons assez de succès pour nous permettre ce genre de choses, nous signerons d'autres groupes..
"

Et toutes vos anciennes productions vont maintenant être disponible sur Ardeck..
John O'Neill: "Oui. On pense m^me rééditer le EP que nous avions fait pour Good Vibrations. Pas mal de nos fans le demandent à cause des deux titres qui n'étaient jamais ressortis sur Sire."

John murmure plus qu'il ne parle et pique du nez feignant d'observer le bout de ses chaussures.. Hier soir, les Undertones ont fait un triomphe à l'Hammersmith Palais. Trois rappels devant un public conquis par l'irrésistible chaleur de leur set et lui qui se cachait à côté de son ampli, fuyant les projecteurs comme si il avait voulu que personne ne puisse deviner sa présence.
John O'Neill: "Je ne sais pas ce que j'avais.. J'étais déprimé. Ça arrive quelquefois quand nous sommes loin de Derry."

Le mal du pays.. Les Undertones viennent de terminer la plus longue tournée de leur histoire, une entorse à leur tempérament de provinciaux légendairement casaniers, motivée par les nécessités de promouvoir "Positive Touch". Les chefs œuvre ne se vendent malheureusement pas tout seuls. Ce disque, la première sortie d'Ardeck, doit être l'album rock british que j'ai le plus écouté depuis "London Calling" et deux exemplaires ont déjà rendu l'âme sur ma platine. Des vibrations adolescentes de leur premier EP à la perfection pop de "Positive Touch" les Undertones ont parcouru sans faux-pas une trajectoire réservée aux grands groupes de rock, fort similaire à celle qui avait mené les Stones de "Carol" à "Between The Buttons"...
John O'Neill: "Cet album te fait penser à "Beetween The buttons"? (il semble particulièrement flatté par la comparaison)

Pas vraiment dans la forme mais dans l'esprit oui...
John O'Neill: "Je ne crois pas que notre disque soit aussi bon que tu le dis... mais nous avons essayé d'avoir ce genre d'approche... Sortir du schéma purement basé sur les guitares et introduire d'autres paramètres comme l'ont fait certains groupes dans les sixties... Un peu comme quand les Stones plaçaient une flûte au détour de "Lady Jane". En fait, les chansons ont été écrites comme par le passé, à partir des guitares et ce n'est qu'en studio que nous avons décidé de rajouter des chœurs, du piano, des cuivres et tous les instruments que tu peux entendre. Nous avons fait ça selon l'humeur du moment. Nous essayerons pour le prochain album de tenir compte de cet apport au moment où nous composerons les morceaux. Le prochain album devrait être meilleur... Ce qui m'intéresse particulièrement en ce moment, c'est les possibilités ouvertes par les claviers au niveau des mélodies."

Le son est dû à Roger Bechirian tout seul ou vous avez participé à la production?
John O'Neill: "Je dirais plutôt qu'il s'agit d'une coproduction. Roger est surtout un ingénieur du son mais il lui arrive d'apporter des idées. C'est lui qui a pensé au break de guitare acoustique pendant "I Don't Know", par exemple, et il est là pour trancher quand nous arrivons pas à nous entendre. Le son du disque est aussi lié à l'incroyable qualité des studios dans lesquels nous avons travaillé. Le deuxième album avait déjà été fait là, à Wisseloord, en Hollande.."

Vos lyrics me semblent également beaucoup plus mûrs. J'aimerais que tu me dises de quoi parlent certaines chansons. A qui sont liées des trucs comme "Julie Ocean" ou "Life's too easy"?
John O'Neill: "Je n'ai pas beaucoup de choses à expliquer sur les paroles. C'est une manière différente d'écrire. La plupart du temps, elles n'ont pas un sens précis. Du moins, pas comme à l'époque de "Jimmy Jimmy" où nous racontions des espèces de petites histoires. J'écris des phrases sur une feuille de papier sans trop savoir ce qu'il va y avoir au bout: "Life's too easy" est en fait, le mélange de trois chansons différentes avec des bouts pris dans chacune d'elles. L'idée générale est l'angoisse devant une attaque atomique mais... non, sincèrement je ne peux pas expliquer de quoi mes chansons parlent. J'ai plutôt choisi les mots en fonction de leur musicalité. Marc Bolan travaillait comme ça. "Get it on, bang a gong", ça ne voulait pas dire grand-chose mais ça sonnait bien."

Les petit points en relief en haut à droite de la pochette, c'est du braille?
John O'Neill: "Oui. C'est notre nom. Nous avons essayé de le faire lire à un ami aveugle et il nous a dit que c'était trop petit pour être lisible. Nous voulions une pochette qui soit liée à l'idée de toucher."

Il me semble que "Good Looking Girlfriend" aurait été plus approprié comme single que "It's Going To Happen". Pas meilleur mais plus immédiatement accrocheur...
John O'Neill: "Au départ, "Good Looking Girlfriend" était le titre que nous avions prévu comme single mais je n'aime pas trop la manière dont nous l'avons enregistré. Nous allons sans doute en refaire une version sur un tempo plus lent."

Quel est ton single préféré des Undertones?
John O'Neill: "It's Going To Happen" et "Wednesday Week".

Et ton single préféré de tous les temps?
John O'Neill: "Get it On" de T.REX."

Tu écoutes toujours autant la compil "Nuggets"?
John O'Neill: "C'est un grand album. Un peu après avoir repris "Let's Talk About girls", nous envisagions de faire une autre face B de single avec "Psychotic Reaction" mais notre version n'était pas assez bonne. Sinon, plus récemment, je me suis branché sur les vieux trucs Tamla Motown et Stax."

Et parmi les groupes actuels?
John O'Neill: "J'aime bien The Beat, Orange Juice ("Julie Ocean" est un peu inspiré de leur manière d'écrire des chansons), Teardrop Explodes..."

Teardrop Explodes! Je les trouve particulièrement rasoir. Ça m'étonne vraiment que, après avoir fait un disque comme votre dernier album, tu arrives à écouter des choses pareilles..
John O'Neill: "Non, non.. C'est une question de goût mais.. je crois qu'ils sont bien meilleurs que nous!"

A ce niveau-là, il valait mieux que j'arrête de jouer les bourreaux pratiquant la question sur un individu trop sensible pour livrer les clés de son univers fragile et secret et laisse la place à ma collègue japonaise de Music Life. Incroyable! J'avais eu en face de moi l'un des song-writers les plus doués de ces dix dernières années et ce curieux petit bonhomme n'avait pas l'air de s'en rendre compte le moins du monde. Imaginez juste une seconde Ray davies ou paul Weller en train de faire des... complexes!