Chronique de l'album "Positive touch"

Ce disque est arrivé à point nommé, comme cette planche qui s'offre quelquefois au naufragé, juste avant la noyade, quand trop d'émotions ont été consumées en vain et que le jeu ne semble plus en valoir la chandelle. Pile au moment où je commençais à douter sérieusement de la vitalité d'un rock anglais englué, tel un cormoran mazouté dans une lourde et morne marée noire, The Cure, Echo & the Bunnymen, Psychedelic Furs, pour ne citer que les plus acceptables....
Les disques les plus excitants des six premiers mois de 81 provenaient tous des rivages américains; Cramps, Fleshtones, Comateens... jusqu'à ce que ce "Positive Touch" vienne sauver l'honneur d'une Angleterre dépassée à la marque. Bien entendu, la situation n'est pas désespérée. Il y a le Clash mais leur feeling est international et ils refusent de jouer dans leur propre pays qui les boude.

Alors, maintenant que le marbre a été dégrossi dans le club des géants, je peux en toute tranquillité affirmer que les Undertones, s'ils ne sont pas les seuls à détenir le titre de plus grand groupe de rock'n'roll britannique, restent cependant le plus britannique des grands groupes de rock. Comme les Beatles ou les Kinks dans les années soixante et, s'ils n'étaient pas si innocents et incapables d'envisager un plan de carrière, je les soupçonnerais d'avoir suivi les cours complets de la Ray Davies School of Rock History.... Il est probable que personne n'a dû leur expliquer que la musique, qui se vend aujourd'hui, se concevait dans sa grande majorité comme une campagne publicitaire pour lessive. Sûr qu'ils ont des pantalons bien trop court et les cheveux bien trop longs, selon les critères de la mode, mais en revanche, leur histoire ne ressemble pas à une campagne de marketing..

Les Undertones ont commencé logiquement en trashant les mélodies sur de diaboliques accords où Marc Bolan rencontrait les Ramones et leur premier album et les singles qui l'entouraient resteront des classiques instantanés du rock'n'roll adolescent. J'imagine très bien dans dix ans une génération de teenagers essayant leurs premières guitares sur les riffs de "You've Got My Number". Comme d'habitude, le deuxième album a été mal interprété, certains ne voyant que trahison dans des joyaux tels "Wednesday Week" et les extases de poche enchâssées dans "More Songs About Chocolate & Girls", alors qu'il ne s'agissait que d'une période de transition, un album attachant, révélateur d'une volonté d'évoluer et d'apprendre tout en ne déviant pas des bases essentielles du genre.. Seul les très grands ont la perspicacité, le talent nécessaire pour avancer sans perdre le contrôle et tomber à côté de la plaque.

 

Les 'Tones avaient donc déjà laissé entendre clairement qu'ils n'étaient pas le groupe d'un seul album et trois accords mais, sincèrement, je ne pouvais imaginer pareille surprise. Le coup de foudre et un bond de plusieurs années-lumière en l'espace de douze mois. Un disque difficile d'accès aux racines solidement implantées dont le feuillage dense et gorgé de sève vitale pourrait bien dérouter plus d'un fan de la première heure. Dès l'intro de "Fascination", aux parfums réminiscents de la grande époque Motown/Stax, on a compris que les petits Irlandais sont devenus adultes et maîtrisent totalement leur art. Un titre très court et la science de toucher l'essentiel en moins de trois minutes. "Julie Ocean", enchaînée sans temps mort, est une chanson d'amour servie par une mélodie merveilleusement limpide où Feargal Sharkey peur utiliser à ont les incroyables ressources de sa voix sur des arpèges de guitare et un piano ponctuant dans les aigus.

Les Undertones ont perdu leur insouciance et l'atmosphère devient tendue sur "Life's Too Easy", un titre où l'influence majeure de ce disque apparaît le plus nettement: "Beetween The buttons" et ses dérèglements de la norme où les Stones, sur la pochette, apparaissaient transis dans le flower-power naissant, "Crisis Of Mine", "You Work Hard", un titre lent, un titre rapide et les guitares qui s'enroulent autour de chœurs qui semblent tout droit sortis des voûtes d'une cathédrale. "Good Looking Girlfriend", signée par Damian O'Neill, apparaît en comparaison plus proche de la veine teenager des deux premiers albums. L'histoire, ponctué de cuivres impertinents, d'un naïf qui, du jour où il rencontre Mary, se découvre une multitude d'amis bien intentionnés. "The Positive Touch" clôt la première face et vient ajouter un vibraphone à la liste des surprises. Un émerveillement à chaque seconde, qui semble difficile à surpasser, si l'on n'a pas encore écouté ce qui se cache de l'autre côté du disque.

"When Saturday Comes", poignant et cohérent, pourrait bien-être le "Paint In Black" des années 80, une affaire de pureté et l'un des plus beaux morceaux du groupe. "It's Going Happen", le single extrait de l'album, suit comme une petite symphonie des temps modernes et je ne sais pas qui est ce Roger Bechirian mais, après son travail avec les Groovies et Costello, on peut le ranger aisément dans la catégorie des fils de Phil Spector. Le son de ce disque est un chef d'œuvre de production intelligente et je n'ai plus rien contre les vingt-quatre pistes si on s'en sert d'une telle manière...

"Sight & Explode", le morceau le plus aventureux, précède un autre classique à ajouter à leur actif: "I Don't Know" diaboliquement efficace avec son break à la guitare acoustique. Un coup de booster pour les émotions et un refrain qui s'accroche à la mémoire. Un hit. Un de plus. "Hannah Hot" qu'ils jouent déjà sur scène l'an passé et l'album vient atterrir avec "Forever Paradise", une balade immaculée qui, comme la pochette, n'est pas sans rappeler la richesse mélodique d'un certain quatuor de Liverpool. Point final. Applaudissements. Et je me demande bien, maintenant que le "Psychedelic Jungle" des Cramps et ce "Positive Touch" sont lâchés dans la nature, qui va pouvoir les rattraper pour le palmarès du disque de l'année. Si seulement ce résumé en forme de chronique mal foutue pouvait vous en convaincre... CHEF D'ŒUVRE!!!