L'ultime péché
Ces deux dernières années, Les Undertones s'étaient fait un peu oublier de la scène. Pas de tournée nationale, une cruelle absence dans les charts et seulement deux singles (dont un n'était qu'un remix de "Julie Ocean" et l'autre "Beautiful Friend", étrange et baroque, une sorte de parenthèse dans leur carrière); c'est ce que les Anglais appellent suivre un "low-profile". Depuis ma dernière rencontre avec le groupe, il y a plus de deux ans, pas mal de choses ont changés. Plus mûrs, plus résolus, Les Undertones semblent enfin avoir pris conscience de leur propre valeur et se sont débarrassés des complexes injustifiés qu'ils nourrissaient vis-à-vis de la concurrence. Une nouvelle confiance surtout sensible chez John O'Neill, le guitariste et principal song-writer du groupe, qui jusqu'à présent avait tendance à disparaître sous les fauteuils au moindre soupçon de compliment sur sa musique et qui, aujourd'hui, parvient à vaincre sa timidité pour participer à l'élan de fierté générale.

John: " 'The Sin Of Pride' est le premier disque que nous enregistrons dont je sois pleinement satisfait. Je pense que 'Positive Touch' souffrait d'erreurs de production. Certaines des idées de Bechirian ne collaient pas vraiment avec l'esprit des chansons. Cette fois, nous avons utilisés Mike Hedges dont le travail s'est beaucoup plus limité à l'aspect technique. Je crois que le rôle d'un producteur devrait se limiter à ça: aider le groupe à réaliser ses idées."

Les arrangements sur "Sin Of Pride" sont particulièrement complexes et riches. Les chansons avaient été écrites en fonction de ça?
John: "Non, on les a composées simplement avec le format basse, batterie, guitares.

Ça permet de ne pas perdre de vue les mélodies.En fait, c'est en studio, un peu au jour le jour, que nous avons construit autour et ajouté des cuivres, des chœurs, des cordes... Les chansons, à l'origine, étaient telles qu'on les joue sur scène."

Pourquoi avoir été chercher cette reprise des Isley Brothers "Got to have you back"?
John: "C'est venu un peu par hasard. Tu vois, je pense qu'on est au point où il nous faut un hit-single. Sans ça, c'est un peu illusoire de vouloir continuer. Personne ne t'écoute ici, personne n'achète tes disques si tu ne passes pas en radio, à la télé. Or, tous nos singles depuis trois ans ont floppés. On s'est dit que, peut-être, avec une chanson de quelqu'un d'autre, ça pourrait marcher. J'ai trouvé ce titre sur une compilation Tamla et il m'a semblé qu'on pouvait le traiter de manière intéressante. Malheureusement, ça n'a pas marché dans les charts quand même... ça finit par être un peu déprimant de voir Kajagoogoo ou Ultravox faire des merdes et les vendre par millions quand tu sais que tes disques sont de bons disques.

Feargal Sharkey, le chanteur, est celui de la bande qui semble le mieux prendre leurs revers actuels. Avec une bonne dose d'humour grinçant, il se dit prêt à attendre que la boue environnante se décante. Il faut dire que sa voix vaut de l'or à elle seule.
Comme le dit en rigolant Mike Bradley, le bassiste, "Feargal pourrait même sûrement faire une belle carrière sans nous derrière. Je comprends pas pourquoi il s'entête à nous traîner."

Pourquoi? Simplement peut-être parce que les Undertones sont avant tout cinq amis et que personne d'autre ne pourrait amener à Sharkey des chansons de la classe de "Love before romance", "Conscious" ou "Untouchable" puisqu'il n'écrit pas lui-même.
Feargal: "J'ai essayé de m'y mettre il y a deux ans. Mais c'était vraiment trop nul. Je crois que si l'on possède un petit talent à la base, ça vaut le coup de continuer et persévérer. Mais si on n'en a pas la moindre once, mieux vaut être réaliste et laisser tomber. C'est mon cas...(rires)"

La grande révélation à l'intérieur des Undertones 83 reste évidemment Dee, le petit frère de John O'Neill, qui, après avoir travaillé dans l'ombre de son aîné, s'affirme aujourd'hui comme un pôle créatif à part entière. Il n'y aura donc pas de Dave Davies dans les Undertones mais bien deux Ray... C'est de lui, principalement, que viennent les colorations sixties du groupe ces temps derniers.
Dee: "Je vis avec une Américaine. C'est par elle que j'ai découvert tout un tas de groupes sixties que j'ignorais. Tout ce genre de trucs qui sont sur "Nuggets" ou la série "Pebbles"... Mais je tiens à éviter que ces influences soient trop évidentes. Le revival pur ne m'intéresse pas. La partie de clavecin dans "Love Before Romance", par exemple, est un clin d'œil à The Left Banke (groupe new yorkais des mid-sixties), ainsi que la chanson, "The Sin Of Pride", qui a été écrite en m'inspirant des techniques de composition d'une de leurs chansons: 'Pretty Ballerina'."

Et les Undertones sont allés jouer. Devant une salle chauffée à blanc dès le deuxième morceau. Un set speed et nerveux. Des versions musclées et dépouillées des titres des deux premiers albums plus quelques coups d'oeil dans le rétroviseur: 'Teenage Kicks', 'Jump Boys', 'You've Got my Number'..
Je suis allé les revoir un mois plus tard au Lyceum de Londres. Dans le backstage, un peu avant le concert, j'ai rencontré Feargal en compagnie de sa femme. Il m'a d'abord appris que le gig parisien du 27 mai avait été annulé parce qu'aucun affichage n'avait été fait et qu'on voulait les faire jouer à trois heures du matin. Puis la nouvelle est venue. Celle que je craignais, en fait, depuis déjà quelques temps:
Feargal: "On se sépare. C'est notre concert d'adieu londonien. On joue encore trois dates en première partie de Dire Straits (dont deux en France) et c'est fini."

Je n'avais pas besoin de lui demandé pourquoi. Enregistrer un disque de la trempe de "Sin Of pride" et se heurter à un mur d'indifférence est effectivement une raison suffisante pour avoir envie de tout plaquer...
Feargal: "Nous sommes toujours amis. On se sépare dans de bons termes. Mais ce n'est pas la peine de continuer comme ça. Il doit être écrit quelque part que le nom Undertones est définitivement passé. Mieux vaut voir les choses en face. Aucun DJ ne passera nos disques, personne ne les achètera..."

La nouvelle, annoncée deux jours plus tôt à la radio, avait rameuté des fans de tous les coins de l'Angleterre et le concert fut évidemment magnifique autant que frustrant. Contrairement à Jam, les Undertones ne donnaient pas l'impression d'avoir tout dit et cette fin en queue de poisson avait le goût amer des promesses qui ne se réaliseront jamais.

Le futur? Joh O'Neill raccroche sa guitare au râtelier. Feargal va se lancer dan une carrière solo. Et, petite lueur d'espoir, puisque c'est eux qui se débrouillent fort bien au chant sur 3window Shopping For New Clothes", Mick et damian parlent de continuer ensemble sous un autre nom et avec d'autres gens. Pour l'instant, fin d'un grand groupe. Et tant pis pour ceux qui les ont laissé passer.