Commandos en Ulster
Les UNDERTONES voient la vie comme un film d'amour et d'aventures. Blagueurs, déconneurs, c'est en fait une bande de gosses moins naïfs qu'ils n'en ont l'air, et dieu sait s'ils en ont l'air. En rencontrant Feargal SHARKEY, anti-star parfaite, j'ai peine à croire que ce gamin rachitique est bien la même personne que celle qui hurle d'une voix formidable les "Jump Boys" percutants ou les "Teenage Kicks" désespérés des disques. Collez-lui une paire de rouflaquettes rousse, un brûle-gueule, trente ans de plus, une bedaine et un ciré de marin, vous obtiendrez l'archétype de la gueule d'irlandais pilier de bistrot dans David Copperfield. Mais si vous lui demandez ce qu'il pense de la conjucture actuelle, rappelez-vous qu'il vient d'avoir vingt ans, et vous vous apercevrez bien vite que l'exposé de stratégie de troquet que vous attendiez sonne plus comme un rêve d'adolescents caractérisé qu'aure chose. En d'autres termes, la vie est belle, même en Irlande où il suffit de ne pas mettre ses doigts là où ça brûle.

Best: Ca ne vous a jamais tenté, d'avoir une aprroche plus sérieuse de la musique, comme le font Stiff Little Fingers?
Feargal: Stiff Little fingers font quelque chose qu'ils estiment important, ils ressentent le besoin de le faire, et il est fondamental que quelqu'un le fasse. C'est très bien pour moi, puisqu'ils croient en ce qu'ils font et qu'ils ont beaucoup de succès. Mais les Undertones ne sont pas intéressés par la politique, sous aucune forme, même à travers le rock.

Best: Et puis ils ne se passe pas autant de choses à Derry qu'à Belfast.
Feargal: Ah oui, ces deux dernières années c'étaient vraiment "calme". Il y a cinq ans c'était dur. Toute la ville a changé depuis qu'elle a été mise en morceaux à coups de bombes. Presque tout le centre da la ville avait disparu. Alors ils ont reconstruit, lentement, mais sûrement. En attendant que ce soit fini il y a des parkings. Ils ont pris ça avec philosophie; maintenant chaque fois que quelque chose pète ils nivellent et ils font un parking. Derry est la seule ville du monde où il y a plus de parkings que de voitures!

Best: Il ne t'es jamais venu à l'idée de mettre un attentat à la bombe en musique?
Feargal: Non, non. Enfin il faut que tu saches que pour nous c'est assez superficiel dans la mesure où on n'y est pas directement impliqués. Vraiment le fond du problème c'est qu'il ne se passe rien à Derry, alors on a décidé de former un groupe, histoire d'avoir quelque chose à faire, car on est pas intéressés par les fusillades. Le groupe fut pour nous une alternative, c'est aussi simple que ça.

Best: Que faisiez vous avant?
Feargal: Moi j'étais réparateur de télés ambulant. Les autres pareils, le même genre de jobs, tous frais sortis de l'école. C'est tous des maniaques de football. J'ai jamais pu supporter ce putain de jeu sauf peut-être pour y jouer de temps en temps... Une fois on jouait à Liverpool et il y avait la finale l'après-midi avant le concert. Il a fallu qu'on soit sur les lieux avec toute l'équipe à dix heures du matin pour faire les essais de son, pour qu'ils puissent aller au match à trois heures!

Best: Euh, ils ont des excuses, je suppose qu'il a plus de footballeurs que de rocker à Derry.
Feargal: Tu parles! il n'y a pas d'équipe à Derry. Juste quelques clubs locaux, l'équipe de la ville a été dissoute faute de matchs, car auncune équipe anglaise n'ose venir à cause des attentats!

Best: Et les concerts?
Feargal: Il y en a très peu. Le dernier, c'était les Darts, et avant, Ian Dury à Noël. Et il n'y a eu aucun concert avant pendant dix ans.

Best: Et Gallagher? et les Boomtown Rats? Ils sont Irlandais!
Feargal: Oui, mais ils ne viennent pas.

Best: Alors que faîtes-vous s'il ne se passe rien?
Feargal: Il y a une petite boîte où on joue parfois. Ils organisent des trucs locaux. Des fois ils organisent des trucs pour les moins de 18 ans. Tu vois Derry c'est plein de pubs. Tout le monde va au pub. Et il n'y a nulle part pour les moins de 18 ans, qui ne peuvent pas aller au pub à cause des licences. Alors on essaye de louer le club pour l'après-midi, comme ça on ne vend que du Coca Cola, et tout le monde peut venir pour cinquante pence. Sinon le reste du temps on est à la maison, on joue un peu, et le soir, on va au pub!
Best: Quelle est la moyenne d'âge de votre public?
Feargal: 14... 15...

Best: Quelle est la population de Derry?
Feargal: 60 000 habitants. Il n'y a que trois millions de gens en Irlande du Nord.
Best: C'est quoi les Undertones?
Feargal: C'est Billy qui est tombé là-dessus dans un livre d'histoire. Ca veut pas dire grand chose d'intéressant, c'est pas imaginatif, on dirait un nom de groupe de country. Ca nous a fait marrer alors on a gardé le nom parce qu'il est ringard.

Best: C'est comme ça que les Ramones ont trouvé leur nom aussi. Comment avez-vous pu sortir un 45t?
Feargal: On a fait une bande et on l'a envoyée à Londres, à Stiff, Chiswick et Radar, mais ils ont pas aimé. Finalement on a appris qu'il y avait un petit label à Belfast, Good Vibrations Records, on leur a filé une bande et ils nous ont trouvé quatre heures dans un studio pour enregistrer le 45t. Nous on a enregistré quatre morceaux en 2 heures et demie, alors comme c'était fait on a dit au mec que ce serait aussi bien avec quatre morceaux dessus, et on a sorti un E.P..

Best: Quel est ton groupe de 79 favori?
Feargal: Les Buzzcocks. On aime bien tous les Ramones, Talking Heads... d'ailleurs une des raisons pour qu'on ait signé avec Sire, c'est qu'ils ont les Ramones! Mais on a été un peu vite pour signer. Le EP "Teenage Kicks" s'est très bien vendu et on aurait pu avoir un meilleur deal grâce à ça.

Best: Quel effet ça vous a fait d'avoir un hit avec "Teenage Kicks"?
Feargal: Oh, c'était la folie complète! On était écroulés sur des lits en attendant que le pub ouvre et le téléphone a sonné. On nous appelait de Londres pour nous dire que le EP était N°38, que Sire Records voulait nous signer et qu'il fallait qu'on aille à Londres pour passer à 'Top of the Pops'!!! Tu imagines l'effet que ça a fait. Au début on pouvait pas le croire, et puis on a explosé. Une heure après on était saoûls comme des polonais. C'était fou, vraiment dingue. Comme je te l'ai dit, à derry y'a pas de concerts alors les groupes on les regardait à la télé, à 'Top of the Pops', alors c'était comme un rêve pour nous. Quand on s'y est retrouvés on était très nerveux! Tu te rends compte.. on se disait que Jam y était passé la semaine d'avant et tout. Et puis c'est du playback et il faut chanter en regardant la céméra, et pas faire les cons, et recommencer vingt fois... Nous on se disait "Jésus! je veux rentrer à la maison!" (rires) Enfin on était là à trembler comme des feuilles, à mimer tout le truc... et ça s'est bien passé.

Best: Quel est ton but, avec les Undertones?
Feargal: euh... quel est notre but... tu veux dire question argent?... moi tout ce que j'espère en retirer, côté argent, par exemple, c'est de gagner assez de sous pour m'acheter un pub. Ca oui, je serais bien content si je pouvais faire ça.

Best: C'est vraiment ton but?
Feargal: Enfin, je sais pas, tu sais jamais ce qui va arriver. Si notre LP est disque de platine aux USA ça risque de changer mes plans.

Best: Quel est votre âge?
Feargal: Dix-neuf ans de moyenne...

Best: Comment tu t'es mis à la chanson?
Feargal: Oh, c'est très simple! J'étais dans la même classe que Billy, d'ailleurs c'est comme ça que je suis entré dans le groupe.

Best: Est-ce que vos parents et amis ont acceptés facilement l'idée que vous formiez un groupe?
Feargal: Non pas du tout. Surtout que jusqu'au mois dernier on répétait encore nos morceaux dans la chambre à coucher de John, forcément ça créait pasmal de tensions. M'enfin maintenant ils collectionnent les coupures de journaux et les photos de nous, et depuis qu'on est passés à la télé ils sont contents et ils nous encouragent. pour le coup de la chambre de John, c'est pas comme à Londres, Derry. Tu ne peux pas réserver de studio de répétition 48h à l'avance parce qu'il n'y en a pas.

Best: Justement je ne comprends pas que vous soyez restés habiter à Derry. Londres c'est plus pratique.
Feargal: Tu veux dire venir habiter à Londres? Non, non, maintenant on répète dans une discothèque dans la journée. Il y a même un bar et un restau, même à Londres tu trouves pas la moitié du confort qu'on a là-bas!
Best
: Quelle est votre plus grosse influence?
Feargal: Pfeu.... j'sais pas... Les New York Dolls nous ont beaucoup aidés à nous lancer à écrire des morceaux. Je sais à quel point c'est un cliché de dire ça mais c'est vrai.
Best: Il y a de bons disquaires là-bas?
Feargal: Non! pas le moindre import... On a tout ce qui se trouve en Angleterre, quoi. Il y a même un des disquaires qui refusent de stocker des trucs. Je me rapppelle, une fois je voulais acheter un 45t des Buzzcocks, "Orgasm Addict", je rentre dans le magasin et je demande poliment le nouveau Buzzcocks. Le mec me fait "Hey? Qu'est-ce que c'est les Buzzcocks?" et il me demande si c'est dans le top 30. Je lui dis que non et il me répond qu'il ne l'aura pas.

Best: Comment sont les gens, en général?
Feargal: A Derry? Houlà! Tu sais ici c'est pas un problème si tu veux partir de chez toi pour aller habiter avec une fille... mais si tu faisais ça à Derry... Christ! Jamais! Tu serais déséhérité, ce serait le scandale dans tout le quartier, tu trouverais plus de boulot et tout! Enfin, c'est comme ça...

Best: Est-ce que vous allez jamais vous lancer dans une musique plus fouillée que celle de votre premier album?
Feargal: On verra bien! On a changé un peu, mais il ne nous arrive pas de nous asseoir en rond et de nous dire "right, ce soir on va écrire un morceau génial à la Bruce springsteen avec 25 accords." Non. En général on pose notre cul, John nous montre deux accords qui sonnent bien bout à bout, et il demande si quelqu'un a d'autres idées! En fait nos morceaux, on les fait en prenant les trucs qui rendent le mieux, c'est aussi simple que ça. On a écrit des trucs qui nous sont arrivés, par exemple "Teenage kicks", il est honnête de dire que ça parle de se branler. D'ailleurs le refrain c'était "I wanna hold her tight", mais on l'a changé pour "I wanna hold you tight" parce que c'était plus facile à chanter.

Best: Est-ce que tu sais comment sera le prochain album?
Feargal: Pas la moindre idée. On verra bien quand on le fera en décembre.

Best: Quel est ton chanteur préféré?
Feargal: Iggy pop. Je l'au vu au Lyceum. Il était arrogant à un point... et ça passe, à chaque fois il s'en tire. Plus il en fait plus la foule aime. Si j'en faisais la moitié je me ferais jeter. Il est fantastique.

Best: Vous faîtes encore "You're gonna miss me" des 13th Floor Elevator?
Feargal: Des fois. Peu importe, d'ailleurs, on est là pour rigoler.

Best: Que ferais tu si le groupe se séparait?
Feargal: Je crois pas que je ferai de la musique.

Best: Et si d'ici là tu n'avais pas gagné de quoi acheter un pub?
Feargal: Et bien je retournerais travailler...

Best: Quel genre?
Feargal: Réparer les télés!

Best: Ah, oui! (rires)
Feargal: J'aimais vraiment bien! J'avais une voiture payée par la compagnie, j'y allais à huit heures, je travaillais deux heures, je gagnais assez pour la journée et à dix heures je rentrais chez moi en voiture... c'était vraiment pratique.

Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise après ça, moi...