Bye bye Tones

Je n'ai pas lu la presse locale au lendemain du Festival Élixir, mais nul doute qu'on y tartinait sur les Undertones. Ces Irlandais si fougueux, touchants, enthousiastes... Consacrés de la sorte devant 25000 pékins, soit dix fois plus qu'en additionnant leurs deux derniers Palace. Une chance unique. Enfin on allait parler d'eux. Bref, les Undertones - à plein régime comme rarement je les ai vus - ont subjugué.

Backstage, beaucoup découvraient (après on s'étonne qu'ils soient sous évalués), tandis que les quelques initiés trépignaient, pavoisaient, pour mieux pousser la larme ensuite (ou pendant: un "Love Before romance" à tomber de saisissement). Parce que voilà: une fois emballé le gig Élixir et plié bagage, nos oiseaux s'en retournaient vers leur mère patrie, le verte Erin, pour offrir à Dublin et à leurs légions de fans locaux un adieu émouvant, ferme et définitif. Exit Undertones.

Avec le sourire presque. Sereins en tous cas. Jamais vu phalange si soudée comme la main et rigolarde à deux doigts de la rupture. A l'amiable, pour le moins. Mais pour Feargal Sharkey comme pour ses petits copains, juste redescendus sur terre après un final proprement délirant (version échevelée de "Let's Talk About Girls", enchaînée en rappel sur... "I Wanna Be Your dog" - oui! - apoplectique), la page est déjà tournée dans la tête. Les dernières salves sont affaire de générosité. Dans leur cas, ça prend des proportions phénoménales.

Et tu peux parler tranquillement de split après Ça?
Feargal: "Weell... Bbh... Tu sais, après tout, on n'est pas les Beatles, hein?"

La modestie aura flingué les Undertones. Ou plutôt non. La simple évolution mentale qui va nécessairement de pair avec le progrès coté musique.
Feargal: "D'un album à l'autre, ça nous travaillait un peu plus. On a fini par se rendre compte qu'on faisait vraiment de la bonne musique et que... ça ne marchait pas. quand on est confronté à un constat d'échec, il n'y a a qu'une solution..."

D'après leur communiqué officiel, qui dédramatise, c'est la peur de devenir célèbre(!). En fait, l'absurdité du split logique. La séparation "naturelle"; fatalité inéluctable. Rock-biz en fée Carabosse qui transforme en perdants ceux qui ne savent pas tricher. Ou plutôt non; d'autres auraient peut-être insisté, quitte à vendre leur âme ou radoter.
Feargal: "Musicalement, en tant que groupe, on était arrivé, je crois, au bout de nos capacités. on était plus ou moins condamné à tourner en rond."

Quitte à faire rigoler vu les ventes dérisoires du récent "The Sin Of Pride", c'est aussi courageux qu' "innocent". Candides à leur arrivée en pleine deuxième vague punk (78), les Undertones n'ont toujours pas appris les règles du jeu, celles qui font que (vous avez remarqué?) tant de mauvais restent ou se remettent ensemble.
Feargal: "A nos débuts, on était vraiment très naïfs. Le punk, c'était chouette, ça permettait de sortir de sa coquille, avec un minimum de talent. Avec "Teenage Kicks" dans les charts, les premiers singles, on a réalisé qu'il se passait quelque chose, sans trop y croire. Passé le second album, on ne voyait toujours rien venir, mais sans y prêter attention."

Conjuration invisible? Candeur, encore. Là, il faut avouer que les Undertones y ont mis du leur. Non contents d'afficher un "look" déplorable et une discrétion désarmante en interview, nos amis, plutôt que de ratisser l'Amérique ou la poldavie Inférieure propulsé par par un ou deux hits, ont préféré passer leur temps à monter leur propre label, Ardeck (leur séjour chez sire les ayant échaudés) puis à construire un studio à Derry.
Faut-il être niais, sourd ou pervers pour ne pas chanter encore maintenant les louanges du rock romanesque gavé de sève adolescente du début (seul les Buzzcocks faisaient aussi bien), de la soul pop subtile et ravageuse des derniers temps (qui dit mieux?) et de tout ce que les Cinq de Derry ont pu pondre de pépites entre deux?
Au bout de deux disques, le temps de devenir mieux qu'un garage-band compétent, "leurs" punks avaient laissé tomber. Deux manifestes de maturité éblouissants plus loin, les nouveaux clients n'arrivaient toujours pas. Accrochés à nul wagon, les Undertones se sont retrouvés à la dérive avec leur pop "classique instantanée", interprétée sur disque avec rigueur, sur scène avec vigueur, dans les deux cas avec cœur. Comme par hasard, dans des créneaux approchants et avec des popularités diverses, la fin 82 voyait tomber Jam et Squeeze (tandis que XTC se retirait dans ses foyers). Ces deux-là ont laissé place nette à leurs leaders. Mais Undertones? Les cinq doigts?
Feargal: "Les Undertones représentent une entité. Si un seul des cinq membres partait, il n'était pas question que le groupe continus. Il s'est passé qu'on a eu la même idée à peu près tous en même temps... avec plus ou moins de motivation."

Alors voilà. Michael Bradley et Damian O'Neill continuent ensemble, et leurs fulgurants progrès de compositeurs, la voix correcte du premier, l'autorité acquise par le second,entretiennent quelque espoir. John O'Neill, maître à penser présumé, incroyablement effacé pour un maître à penser présumé, arrête tout. (Feargal: "Sa nouvelle ambition est de devenir poète beat! Il vient de découvrir "Sur la Route". Mais ne l'ébruite pas!"). Billy Doherty traînera ses baguettes au hasard des sessions. Quant à Feargal, ses petits projets à lui sont bien en train.
"Je travaille sur quelques morceaux avec un clavier assez connu - top secret - lui pour les musiques, moi pour les textes. L'esprit est soul et pop à la fois, entre "Save Me" (leur reprise de Smokey) et "Billi jean". Ça se précisera à la rentrée."

Regrets. Jalousie? Maldonne des cartes pop-Années 80. L'impression nette que les Undertones avaient les moyens d'être autre chose qu'une marotte de rock-critique. Trop tard?
Reste un constat fier, que l'Histoire à défaut de la Foule retiendra: les Undertones sont partis la tête haute.
Feargal: "S'arrêter au sommet, c'est idéal, non?
Il y a juste un voile d'ironie dans la voix fêlée de Sharkey. Prix de moralité (après ceux de Camaraderie, d'Honneur et d'Excellence). 'Petit' groupe de génie pas devenu 'grand'. Les disques comme jalons pleins de ressources. Le concert d'Élixir comme requiem flamboyant.
(François Gorin)